En 1968, mes parents revendirent leur Traction 15 familiale de 1954 qui avait véhiculé notre grande famille pendant de nombreuses années. Retrouvée 40 ans après dans un triste état, elle a été entièrement restaurée.
Je me souviens des longs trajets pour partir en vacances dans cette grande voiture remplie de gamins avec la galerie sur le toit pleine de bagages. Même bien chargée elle marchait très fort et sur les routes des années 60 peu de voitures la doublaient sauf les DS, les grosses Mercedes et les voitures de sport. C'est sur cette voiture que j'ai fait mes premières armes de conducteur peu après le permis. Une bonne école vu l'encombrement, le rayon de braquage et l'impossibilité quasi-totale de faire un créneau.
La voiture était en parfait état lors de sa vente mais elle était obsolète, trop grande (nous commencions à avoir le permis et nos propres voitures), sans parler de la consommation.
J'avais à l'époque souhaité qu'on la garde car je savais, selon les dires du garage Citroën, qu'elle était sortie à moins de 500 exemplaires, et avec une rare couleur Bleu d'Islande, et qu'elle deviendrait une pièce de collection, mais il fallait faire de la place.
La voiture fut vendue à des jeunes militaires qui l'utilisèrent peu de temps pour fêter la quille (!). Elle se retrouva bariolée de flammes psychédéliques sur les portières, normal en 1968,et finit à l'abandon sur le parking d'une caserne, après le vol des quatre roues. C'est là que je la vis pour la dernière fois, avant que les militaires ne l'envoient sans doute à la casse.
J'ai par la suite espéré qu'elle ait survécu, et ai conservé mon attachement aux Traction en faisant l'acquisition d'une 11BL de 1954 puis d'une 15/6 de 1949, dans les années 1970/80, toutes deux revendues.
En 2005, l'envie d'acheter la même voiture m'a pris, il y avait des mariages à l'horizon dans la famille et je me suis mis en chasse. La soeur jumelle de notre 15 s'est présentée sur une annonce de vente par un marchand. Je suis allé la voir et l'ai essayée, avec l'idée de l'acheter, mais ce n'était pas la bonne (quelques accessoires reconnaissables manquaient). Cette familiale est d'ailleurs en photo dans le grand livre de la Traction d'Olivier de Serres.
Fin 2008 une autre annonce proposait la même, à l'état d'épave, au sud de Lyon à 50 km de chez moi. Cette fois-ci, c'était peut-être la bonne: il y avait sur le toit un volumineux moignon d'antenne identique aux photos d'époque, et à l'intérieur un rare chauffage à essence, un volant que je reconnaissais, une plaque en aluminium sur la porte du vide-poche confectionnée par mon père pour cacher l'emplacement d'un autoradio à lampes, et un filet de toit refait par mon père avec le même fil de pêche que celui que j'utilisais à l'époque...
Je n'ai pas mis longtemps pour être certain d'être en présence de notre voiture.
Il n'y avait pas de carte grise ni plaque d'immatriculation, seulement la plaque avec le numéro de série . Un coup de téléphone à mon père le lendemain me confirma que c'était bien celle-là, car il avait conservé la facture d'achat. Le vendeur la possédait depuis 10 ans, l'avait acheté à un marchand, décédé dans l'intervalle: je n'ai toujours aucune idée de son parcours entre 1968 et 1998, ni du nom du dernier titulaire de la carte grise.
La voiture était dans un état pitoyable, le moteur déposé, sans calandre ni capot, les ailes démontées, avec une corrosion importante du plancher, des bas de caisse, des jambonneaux et des autres endroits habituels. Le tôlier consulté l'a déclarée réparable. Je l'ai donc achetée et nous nous sommes lancés dans un énorme chantier de restauration.
Il n'y a pas eu trop de difficulté pour retrouver les pièces nécessaires et l'utilisation d'une épave de 11 familiale fournie par Patrick Clément a été déterminant pour réparer la carrosserie, en particulier les bas de caisse. Curieusement les doubles tubes d'échappement spécifiques aux 15 familiales se trouvaient encore disponibles, neufs d'origine et non pas refabriqués.
J'ai eu la chance de connaître près de chez moi des professionnels compétents (un ami mécanicien, un tôlier, un peintre et un sellier) qui m' ont permis de mener à bien les travaux qui ont duré trois ans environ, avec de longues interruptions.
L'immatriculation en carte grise "collection" n'a pas posé de problème grâce à un certificat de conformité fourni par la FFVE.
Le but à atteindre était de sauver et restaurer cette voiture, et aussi d'en faire profiter la famille, tenue au courant de l'avancement des travaux, et impatiente de la retrouver. C'est ainsi qu'au mois de septembre dernier elle a fait en remorque sur un plateau le trajet de la Drôme à sa Bretagne d'origine. C'est le vendeur de la voiture, très heureux qu'elle retrouve ses anciens propriétaires, qui s'est chargé du transport.
Mon père (en bonne forme pour ses 95 ans) a pu retrouver sa voiture 45 ans après et faire quelques promenades, à sa grande joie et à la nôtre.
La Familiale est maintenant à l'abri, en compagnie d'autres belles Traction, dans le magnifique hangar-musée de Jean-Paul Quéffélec et Pascal Séité.
Photos de la familliale